Pour une fois, la série « Un avion, une histoire » pourrait s’intituler « trois avions, une histoire », car le petit historique qui suit commence par deux avions qui ne voleront jamais sous les couleurs de la Marine Nationale !

Tergiversations : trois candidats, un élu

Tout commence en octobre 1946, quand la « Royale » décide d’acquérir un Dakota au Maroc pour l’affecter en Indochine. Cet appareil sera mis à la disposition du Vice-Amiral Commandant les Forces navales en Extrême-Orient. En effet, à l’automne 1946, il n’est plus prévu d’acquérir de rechanges pour les Lockheed PV-1 Ventura et il est urgent de trouver un avion de transport pour l’Indochine. Le 28 novembre 1946, la DTIA attribue donc à la Marine l’avion 43-16410 (numéro constructeur 20876), radié de l’USAAF le 1° mars 1946, et acquis aux surplus américains à Naples. Il doit être remis en état à l’A.I.A. de Casablanca, et les courriers de l’Aéronautique Navale de décembre 1946 et janvier 1947 insistent sur le soin qui devra être apporté à sa révision. Mais pour une raison qu’on ignore actuellement, cet appareil reste finalement affecté à l’Armée de l’air, où il servira longuement, de 1958 à 1964 avant de s’écraser le 2 novembre 1965 à Obock.
Le Contre-Amiral Nomy, alors Commandant de l’Aéronautique Navale se tourne donc à nouveau vers le Ministre de l’Air (en fait la D.T.I., Subdivision des fabrications) pour obtenir un autre appareil. Aussitôt dit, aussitôt fait : par lettre n° 2925 DTI/Cab/I Air du 13 février 1947, la Marine se voit attribuer le C-47 41-18443, numéro constructeur 4505. Un avion livré à l’USAAF à l’été 1942, et qui, après un bref séjour à la 8° Air Force en Grande Bretagne, a servi à la 12° Air Force en Italie après avoir transité par le dépôt d’Oran. On ne sait pas grand’chose sur la carrière « américaine » de l’appareil avant sa mise en vente aux surplus au titre de la Foreign Liquidation Commission le 11 février 1945, ni sur les conditions exactes de son acquisition par le gouvernement français».
Toujours est-il qu’à peine attribué aux marins, le « 443 » est fermement repoussé. En effet, l’Aéronautique Navale avait demandé un appareil équipé en 24 volts. Le système 12 volts du « 443 » est un vice rédhibitoire. L’avion ira donc voler sous livrée civile, affecté à la Compagnie Transaharienne en 1948 et immatriculé F-BEIX.
La DTI notifie donc par courrier 03859 DTI/Cab/I Air du 27 février l’attribution d’un autre bimoteur C-47, le « 411 ». Acquis aux surplus américains de Naples, l’avion est convoyé à l’A.I.A. d’Alger Maison Blanche le 5 mars 1947, afin d’y subir une révision générale. Il n’est pas encore prévu de modifier les aménagements intérieurs en transport de troupes. Pendant ce temps-là, la B.A.N. de Cuers reçoit l’ordre de construire 20 fauteuils du type en service sur les Ju-52 « passagers » de l’Aéronautique Navale (« légèrement élargis si possible » précise une note), fauteuils qui seront envoyés en Indochine avec l’appareil, et montés sur place selon les instructions de l’Amiral. Différentes instructions concernant l’équipement de l’avion et même sa décoration intérieure sont notifiées à l’été 1947.
D’ou vient cet appareil ? D’après la fiche individuelle publiée par Air Britain, sa livraison aux U.S.Army Air Forces sur Contrat No. AC-20669 remonte au 24 mars 1943. On sait qu’il est en service (ou en volant de réserve ?) à Oran le 21 mai1943. Il est condamné et déclaré surplus le 26 juin 1946 à Oran, pour « vente à la ferraille ». On le retrouve alors sous pavillon français à Alger, « venant de Naples ». Son identité militaire est 42-23411, et son numéro constructeur chez Douglas 9273.

 

L’Indochine

Enfin, l’avion est très officiellement affecté le 5 octobre au G.A.N. Indochine , sous le vocable inattendu de SL FMEO. C’est le seul Dakota de la Marine, et pour longtemps. Il va bien vite gagner son appellation de Dakota Amiral. Reste à le convoyer sur place. Sorti de RG et venu à Paris, il décolle le 7 novembre 1947, direction Saigon Tan-Son-Nhut, sa base d’affectation. Mais il ne va pas très loin : une avarie l’immobilise... à Lyon ! Après une réparation de longue durée, il repart le 15 décembre, aux ordres de l’EV2 Vierling, avec quatre officiers mariniers pour équipage.
Le Dakota Amiral en Indochine. (©Jean Jacquet)Enfin parvenu sur place, il entame une fort longue carrière qui le conduira à sillonner tous les cieux d’Indochine et parfois même des pays voisins. Il est alors encore peint « 223411 » sur la dérive, avec des marques réglementaires « de transition », c’est à dire que l’ancre de marine est inscrite dans le blanc de la cocarde.
Est-il utile de détailler les innombrables vols effectués au profit des autorités, à commencer par son titulaire ? Un « DC-3 », comme il est désigné officiellement, ça vole beaucoup et longtemps. Cela n’a rien du Ventura de jadis !
En janvier 1949, l’acquisition de deux moteurs à Manille est autorisée. Puis, début 1950, c’est le retour en métropole pour une RG de type 4000 heures à Toulouse. On observe alors que les « antécédents sont inconnus », selon la formule consacrée. Et « on fait avec... »
L’appareil reprend ensuite du service en Indochine. Affecté à la flottille 8F depuis 1949, ce que l’on ignore généralement (à la rubrique « missions diverses » !), il est transféré à l’escadrille 8S en février 1951. Mais il continue bien sûr à voler d’une manière autonome selon les instructions de l’Amiral. Son indicatif international, attesté en septembre 1949 et en février mars 1950 est alors F-YLIA. L’échéance pour une nouvelle RG est fixée à janvier 1952. Toutefois, l’avion montrant des signes de fatigue, il est envisagé d’anticiper sur le programme et, en octobre 1951, la Marine demande très officiellement à l’Armée de l’air de lui, prêter à titre provisoire un C-47 en remplacement du Dakota Amiral durant son séjour en métropole.
Le 4 décembre 1951, la décision de convoyage est entérinée. L’avion partira en janvier, mais cette fois sera révisé par la SECA au Bourget. Cette nouvelle visite de type 4000 heures s’achève le 8 avril 1952. Il est temps de regagner l’Indochine et la formation mère, à nouveau la 8F (puis 28F). Ce bimoteur s’intègre bien au milieu des grands quadrimoteurs que sont les Privateer. Et comme les PB4Y-2 sont entretenus et révisés industriellement par une société spécialisée basée à Hong Kong, la HAEC, le Dakota Amiral « rejoint le club » et y effectue une visite détaillée dont il sort en septembre 1953.
En 1954, l’indicatif international est devenu F-YAMA, et l’autonomie relative de l’appareil confirmée par l’établissement d’une SLS Indochine dont le Dakota est le fleuron. Son pilote, l’OE3 Mayerus passe progressivement la main à l’OE1 Roubaud, récemment arrivé de métropole. Co-pilote à compter de septembre, Roubaud devient pilote attitré à partir du mois suivant, ce qui ne l’empêchera pas de « tâter » du Privateer à la 24F et surtout à la 28F. A partir de janvier 1955, l’Officier de 1° classe des Equipages Roubaud devient officiellement chef de la Section de liaison et de servitudes.
Il n’était pas possible de relater, dans le peu d’espace dont nous disposons, la carrière « opérationnelle » d’un avion de liaison et de transport d’autorités. Disons simplement qu’il participe très occasionnellement à des missions opérationnelles aux côtés des appareils de l’Air, et qu’après la fin du conflit en Indochine et les Accords de Genève, on observe une relative internationalisation de ses missions. S’il fallait retenir quelques « grands noms » de passagers à l’automne 1954, on pourrait évoquer l’Amiral Auboyneau, le Vice-Amiral Jozan, cette grande « figure » de l’Aéronautique Navale, ou encore le Capitaine de Vaisseau Hébrard. Et bien d’autres encore, autorités britanniques ou généraux de l’Armée de terre, épouses d’amiraux même. L’avion se déplace parfois de Saigon à Singapour, tandis que d’autres vols typiques le conduisent généralement sur des liaisons Saigon-Tourane-Hong Kong-Saigon.
Une nouvelle révision générale intervient à Hong Kong début 1955. Le DC-3 rentre à Saigon le 28 mars. Fin 1955, il est progressivement pris en main par l’EV Dumesnil, puis début 1956, par l’EV Renaud. Il est intéressant de noter que l’appareil a alors adopté une marque réglementaire attribuée à la BAN de Tan-Son-Nhut, à savoir SN-1, SN pour Saigon ! L’indicatif international demeure F-YAMA.

 

Madagascar

Mais la France se retire de l’Indochine, et le vieux serviteur décidément voué au service outre-mer est affecté en juin 1956 à la Section de liaison Madagascar. Le C-47 rallie la BAN d’Andrakaka (Diégo-Suarez), base ouverte depuis dix ans, et où il est officiellement stationné à compter du 1° septembre. Il y « retrouve » un Commandant de base qui est un « ancien d’Indo », le CC Durival. Le Dakota vient épauler sur place un autre modèle : le Junkers 52 (A.A.C.1) que la Marine avait utilisé dans la Grande Ile depuis les événements tragiques de 1947 au sein d’une SES Diégo-Suarez, puis SLS Madagascar.
Fort contraste avec les opérations d’Indochine : la carrière de l’avion à Madagascar est nettement plus restreinte. Outre ses équipages en titre, on trouve souvent aux commandes le commandant de la BAN, notamment le LV Rivière (août 1957-1959), le CC Gajan (1959-61) et le CC Grellier (qui effectue son premier vol sur le « DC-3 » le 20 septembre 1969). Dès 1957, étant donné l’éloignement de la métropole, un accord est passé avec l’Armée de l’air pour une coopération plus étroite entre marins et aviateurs, tandis que se pose à partir de mai 1957 un problème de mise en standard pour un appareil resté si longtemps exemplaire unique, dans la Marine du moins. Notons au passage une mission plastron radar pour le Kersaint en juin 1957. Si la carrière de l’appareil à cette époque est relativement bien connue au niveau des carnets de vol, les renseignements administratifs font encore défaut, faute d’avoir pu consulter les archives adéquates.
On voit l’avion voler vers l’Ile Maurice, ou la Réunion. Mais pour l’essentiel les liaisons ont lieu entre Diego, Ivato ou autres liaisons Malgaches. Signalons aussi une mission SAR Diego-Suarez Moroni (Comores) en novembre 1961. Le DC-3 est alors devenu l’unique appareil de la SL Madagascar, et le restera jusqu’en 1964.

 

Fin de carrière à Nîmes-Garons

L’information sur cette période est encore lacunaire. On ne sait pas très bien à quel moment le vieux Dakota a rallié Nîmes-Garons où se trouvait à présent une importante flotte de C-47 à l’escadrille 56.S/Ecole du Personnel Volant acquise sur le marché civil à partir de 1961.
L’auteur de ces lignes a le souvenir de l’avoir vu parqué hors service à Nîmes Garons courant 1969, et regrette intensément de n’avoir pas pu faire des photos à l’époque. Par rapport à ses congénères de la 56.S, il portait une livrée différente, n’arborait pas de bandes day-glo, et paraissait bien fatigué, hors normes, mais en bon état parce que parqué à l’intérieur de l’enceinte militaire. La rubrique Epaves et Reliques de votre Trait d’union préféré le signale encore à l’été 1972 et, à notre connaissance, la dernière attestation remonte au 31 mai 1973.
Appel est donc fait à tous les lecteurs et amateurs pour confirmer quand et dans quelles circonstances ce vieux routier des terres lointaines a disparu. Un bulletin de l’Administration des Domaines nous apprendra sans doute un jour quand il fut livré aux ferrailleurs ?
Vous connaissez le couplet de rigueur : une bien triste fin pour un bien fidèle serviteur. Ce couplet n’en demeure pas moins sincère...

sources - remerciements :
Article paru initialement dans le Trait d'Union, revue de la Branche Française d'Air Britain. Mis en ligne avec l'autorisation de l'auteur Jean-Pierre DUBOIS Depuis publication, la recherche sur le sujet se poursuit, notamment dans le cadre des travaux de l'ARDHAN.

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