CV(F) : LES FUTURS PORTE-AVIONS FRANCO-ANGLAIS

Écrit par Pierre-Henri Baras

1/ HISTOIRE

L'HMS Eagle ; on peut distinguer des Buccaneer, Sea Vixen, Gannet et Wessex. (HMS Eagle)

La Grande-Bretagne, nation maritime par excellence, a très tôt compris le potentiel des porte-avions, et c’est d’ailleurs à ce pays que nous devons les principe du pont oblique et de la catapulte. Néanmoins, cette puissance quitta le club très fermé des possesseurs de porte-avions conventionnels en 1978, lorsque le HMS Ark Royal fut retiré du service. Le seul porte-avions restant, le HMS Hermes, ne pouvant pas accommoder les Phantom, Buccaneer et autres avions à décollage conventionnel, le Sea Harrier fut le seul avion à pouvoir être embarqué. Mais en 1980, la Grande-Bretagne mettait en service les bâtiments de la classe Invincible, pour remplacer les HMS Centaur, Victorious, Hermes, Eagle et Ark Royal. Porte-hélicoptères dotés de ski-jumps, rampes pour faciliter le décollage des Sea Harrier et Harrier, ces bâtiments, les Invincible, Illustrious et Ark Royal (5 ème du nom), sont conçus pour un rôle précis dans la guerre froide, la lutte contre les sous-marins Soviétiques. Ils sont prévus pour emporter une majorité de Westland Sea King HAS Mk.3 de lutte anti sous-marins (ASW), avec seulement une poignée de Sea Harrier pour la défense de la flotte. Avec la fin de la guerre froide, les futurs porte-avions (CVF) embarqueront 3 types d’avions : un avion d’armes (air-air et air-sol), un appareil de veille aérienne (AWACS) et un appareil de lutte ASW. La RAF et la Royal Navy ont vite compris le besoin de modifier le parc aérien. Ainsi un nouveau commandement a été créé, le Joint Force 2000, qui favorise l'intéraction des forces terrestres, maritimes et aériennes. Sur les PA, cela veut dire l’embarquement de Harrier GF.7 de la RAF (comme lors de la Guerre des Malouines en 1982) aux côtés des Sea Harrier FA.2.

Cette solution n’est que temporaire, et le gouvernement britannique a exprimé dès 1996 son projet de futur porte-avions, le CVF.

 

2/ SPÉCIFICITÉ

Les grandes lignes du projet furent posées dans le livre blanc de l’armée britannique, le Strategic Defence Review (SDR), publié en 1998. Les bâtiments de la future classe mesureront 300m de long, pèseront 40 000t et se déplaceront à 28 nœuds. Ils coûteront environ 2,2 milliards de £ et accueilleront 1200 personnes. Le ministère de la Défense Britannique a choisi de ne pas utiliser une propulsion nucléaire, et ce sont 4 turbines qui propulseront les navires jusqu’à leur rayon d’action de 8 000nm.

Si la Royal Navy n’a pas déployé de PA classique depuis 1978, elle a par contre maintenu son savoir-faire en construisant ces dernières années le porte-hélicoptères HMS Ocean et les transport de chaland HMS Bulwark et HMS Albion. Les techniques employées pour la construction de ces 3 navires seront bien sûr reprises pour la construction du CVF.

La sélection des entrepreneurs se fera en 2003; les premières pièces seront découpées en 2005 ; les bateaux seront lancés en 2010 et entreront en service en 2015.

 

3/ OPÉRATIONS AÉRIENNES

Avec le retrait futur des Harrier et Sea Harrier, 3 solutions sont envisageables pour les opérations aériennes : STOVL, STOBAR et CTOL.

STOVL (Short Take-Off, Vertical Landing) : c’est le mode de fonctionnement des navires de la classe Invincible, et de tous les navires qui mettent en œuvre des Harrier, Sea Harrier et autre avions à poussée vectorielle(Yak-36/38). Les avions décollent sur une très courte distance (80-100m), parfois avec un ski-jump, pour économiser du carburant et tout simplement parce que les moteurs ne sont assez puissants pour soulever un avion à pleine charge verticalement. L’appontage se fait verticalement, l’avion étant plus léger, presque comme un hélicoptère.

Ce mode de lancement/récupération des avions permet une cadence de catapultages plus rapide. Il a aussi l’avantage de supprimer les catapultes, les brins d’arrêt et la piste oblique. Cela permet d’avoir des bâtiments plus petits et moins chers. Par contre les avions à poussée vectorielle sont souvent plus petits et moins armés que les avions conventionnels, ceci du à leur système interne de poussée orientable.

Les avions à envisager si la solution STOVL est retenue sont le JSF et le Super-Harrier, même si ce dernier n’a en réalité aucune chance d’être sélectionné.

STOBAR (Short Take-Off But Arrested Landing) : ce mode est celui qui a été choisi par les Soviétiques et leurs Su-33 Flanker D. Il consiste en un décollage sans catapulte, sur la longueur du pont, et d’un appontage classique, avec des brins d’arrêt. S’il a l’avantage d’éliminer la catapulte, il limite aussi les charges emportables sur les avions. Contrairement au STOVL, le système STOBAR nécessite une piste oblique et des câbles. Il perd aussi l’avantage du temps réduit entre les décollages et appontages. Ce rallongement du temps nécessaire à l’appontage signifie aussi qu’il faudra une nounou, un avion équipé d’un pod de ravitaillement en vol, pour fournir du carburant aux avions en attente d’apponter. L’avion à envisager si cette solution est choisie est le EF 2000 Typhoon(N), version navalisée du Typhoon en service dans la RAF.

CTOL (Conventional Take-Off and Landing) : c’est le système employé par les Américains, les Français, les Britanniques jusqu’au retrait de l’Ark Royal, les Argentins et les Brésiliens. C’est le système le plus simple, le plus efficace, avec les catapultes à vapeur et les brins d’arrêt. Ces équipements sont lourds et volumineux, c’est la raison pour laquelle ce type de bâtiment est bien plus gros que les bâtiments déployant des Harrier. En contrepartie, il n’y a pas de limite de poids, les avions peuvent emporter beaucoup de carburant et de munitions. Les plus gros bâtiments peuvent aussi embarquer plus d’avions (90 pour les CVN de l’US Navy). Les appareils destinés au système CTOL sont le F/A-18 E et le Rafale M.

 

4/ GROUPE AÉRIEN EMBARQUE

Le choix des appareils embarqués dépend directement du type de bâtiment choisit. Mais on peut déjà dire que le GAE se composera de 30 avions de combat multirôles/FCBA (Future Carrier Borne Aircraft), 6 hélicoptères et 4 appareils de guet aérien avancé/FOAEW (Future Organic Airborne Early Warning). Le CV(F) emportera donc en temps normal 40 appareils, et jusqu’à 50 en cas de guerre. Le but est de pouvoir effectuer 150 sorties par jour.

Les exigences pour le FCBA sont les suivantes : il doit être tous-temps, jour et nuit, pour la Défense Aérienne et le Support Aérien Rapproché, mais aussi pour l’interception, ainsi que la lutte anti-surface et la reconnaissance tactique. Il doit être supersonique et disposer d’armements internes et externes.

CTOL :

Le premier avion envisagé si le bâtiment est de type CTOL est le Boeing F/A-18 E/F Super Hornet. Cet avion entre en service en ce moment dans l’US Navy, et est un dérivé du F/A-18 A/B/C/D Hornet, appareil dont les capacités ont été prouvées au combat. C’est un avion prévu dès le départ pour les porte-avions; il sera donc acheté « sur l’étagère », sans modifications. Par contre le choix de cet appareil n’apporterais rien du tout à l’industrie britannique car l’avion serait fabriqué aux USA. Mais, encore une fois, ce choix serait économique et peu risqué. Il compense son manque de furtivité par des performances et une capacité d’emport de munitions élevées.

Le second appareil qui pourrait être sélectionné est le Rafale M de Dassault. Cet appareil n’est pas encore opérationnel, mais est d’un concept plus récent que le Super Hornet, qui n’est pas vraiment un avion de la 4ème génération. Mais le Rafale est plus petit et aussi moins « navalisé » que le Super-Hornet. Sa sélection serait plus politique que militaire (voir plus bas). C’est aussi un avion entièrement européen, qui rendrait les Britanniques moins dépendants des USA !

STOBAR

L’appareil de choix est ici le Eurofighter Typhoon(N) qui n’est encore qu ‘un projet, mais qui a tout son sens. Son principal défaut est de ne pas être navalisé du tout à l’origine. Par contre ce choix serait très économique étant donné que le Typhoon sera utilisé par la RAF. Puisqu’il est fabriqué en partie par les Britanniques, on peut penser que sa navalisation sera plus facile, les outils de production étant déjà là. La navalisation porterait sur un renforcement de l’avion pour l’utilisation sur porte-avions et des commandes de vol adaptées aux appontages. Ses avantages sont la vitesse et la capacité d’emport.

STOVL

Avec l’abandon du Super-Harrier, l’avion de choix est le JSF. En effet le Joint Strike Fighter est l’avion censé révolutionner le XXI ème siècle. Il se déclinera en 3 versions : conventionnelle pour l’USAF, navalisée(catapulte et brins d’arrêt) pour l’US Navy et STOVL pour l’US Marine Corps, la RAF et la RN, pour un total de 3000 appareils. Il est censé remplacer au moins 10 avions différents! Le choix du futur JSF sera annoncé en 2001. Les 2 groupes en compétition sont Boeing avec le X-32, et Lockheed Martin avec le X-35. La lutte entre les 2 avionneurs est féroce, ressemble à celle entre le YF-22 et le YF-23. Il est probable que le perdant de la compétition sera voué à l’abandon de ses activités militaires !

Le JSF aux couleurs de la Royal Navy. (MoD)

Calendrier :

 

Coûts :

 

Le besoin pour un appareil de détection aéroportée s’est cruellement fait sentir lors de la Guerre des Malouines en 1982. Alors que les USA disposaient du S-3 Tracker puis du E-2 Hawkeye, et que la France avait le Breguet Alizé, la Royal Navy ne contaient que sur les moyens embarqués sur les navires. En 1982, après la perte de plusieurs navires à des Exocets tirés par des Super-Etendard Argentins qui n’avaient pas été détectés par les navires, les Britanniques ont développé le Sea King AEW Mk.2, en adaptant un radar aéroporté sur le Sea King. Sa mission est la surveillance air et mer, le contrôle d’interception et d’attaque, ainsi que le guidage « par dessus l’horizon » des missiles mer-mer.

Le choix du remplaçant du Sea King AEW ne se fera pas avant 2003. Mais on connaît déjà les candidats :

L'E-2C Hawkeye

Si le CV(F) prend la forme d’un bâtiment CTOL, l’avion retenu sera sûrement le E-2C, dans une version récente (mais pas au standard 2000). C’est un avion aux performances confirmées, en service aux USA, en France, au Japon, en Israël, en Égypte et à Singapour. Mais seules l’US Navy et l’Aéronavale (Flottille 4S à Lann-Bihoué) l’embarquent sur des porte-avions ! C’est sûrement la meilleure solution possible, un appareil conçu spécialement pour ce rôle.

Le Merlin AEW

La solution qui serait retenue en cas de bâtiment STOVL ou STOBAR est une version AEW de l’hélicoptère anglo-italien EH-101 Merlin, successeur de Sea King dans la plupart de ses versions. C’est une solution logique, adapter un radar aéroporté sur le nouvel hélicoptère clé de la RN; les doctrines d’emploi seraient les mêmes que pour le Sea King AEW Mk.2.

Le Bell V-22 Osprey

Le V-22, qui entre en service actuellement dans l’US Marine Corps, est l’appareil qui va transformer toutes les doctrines militaires. Mi-avion, mi-hélicoptère, il alliera la vitesse et les performances de l’avion et la facilité d’emploi de l’hélicoptère. En l‘espèce, c’est le rayon d’action du V-22 qui serait un atout pour le guet aérien.

Comme le guet aérien, l’appareil de lutte anti-sous marins sera un dérivé du successeur du Sea King, l’EH-101 Merlin. Il aura sûrement pour dénomination le Merlin ASW.

 

5/ ET LA FRANCE ?

L’intérêt de la France dans le choix du CV(F) dépasse l’enjeu de la vente du Rafale M. En effet l’an 2000 marque le retrait du Foch, et pour la 1ère fois depuis la 2nde Guerre Mondiale, la France se retrouve sans porte-avions. Le Charles-de-Gaulle n’entre en effet pas en service avant l’été 2001. Mais il est seul pour remplacer 2 bâtiments, le Foch et le Clemenceau. Plus encore, cela signifie que lorsque le Charles de Gaulle sera en cale sèche pour travaux pendant 6 mois, la France sera sans moyen de projection de sa force aéronavale. Heureusement, le gouvernement semble conscient du besoin d’un second PA, et on peut espérer une commande d’ici quelques années. Le problème suivant est celui de la propulsion. En effet, construire un second PA, petit frère du Charles de Gaulle serait pas cher en termes de recherche et de développement. Malheureusement, la propulsion nucléaire se révèle peu commode, techniquement et politiquement ! Et les coûts de recherche et de construction d’une nouvelle classe de PA, à propulsion classique, sont eux prohibitifs. D’où l’intérêt de construire ce second PA Français en commun avec la Grande-Bretagne. Si nos besoins ne sont pas les mêmes, il est vrai que ce choix est économique si on abandonne l’option de propulsion nucléaire(et ses avantages).

Si la France choisit l’option Britannique il est clair que les 2 nations feraient des compromis et des sacrifices; on peut alors penser que la France essaierait de fournir des Rafale M à la Royal Navy. Les 2 pays auraient les même porte-avions et les mêmes avions.

Mais si ce choix se faisait, la France se retrouverait avec 2 PA de classes différents, et la Grande-Bretagne aurait 2 avions de combat différents pour la RAF et la RN. Pour les 2 pays ce n’est ni pratique (en termes de coopération) ni économique.

Cela dit, si la RN choisissait le Rafale M et le PA correspondant, cela permettrait une nouvelle doctrine de déploiement commun avec l’Aéronavale. En termes d’essor de la Communauté Européenne, cela va de pair avec le projet de la Kriegsmarine(Marine Allemande) de déployer, à titre permanent, des Rafale M aux couleurs Allemandes sur le Charles-de-Gaulle.

 

 

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